Chère lectrice, cher lecteur,

J’ai bien failli manquer le film Vice au cinéma. Certes, j’avais entendu de bonnes critiques mais j’avais du mal à trouver la motivation d’aller dans les salles obscures pour entendre parler d’un type aussi fade (et peu connu en France) que Dick Cheney.

Vice est en effet un film biographique qui retrace l’histoire de Dick Cheney, le discret vice-président des États-Unis pendant le mandat de George W. Bush entre 2001 et 2009 (avec, entre autres, Christian Bale, Amy Adams, Steve Carell, Sam Rockwell…). 

Franchement, pourquoi faire un biopic sur lui, alors que toute l’attention des médias, en ce début des années 2000, s’était focalisée sur le personnage bien plus étonnant qu’est Bush ? Et puis, que pourrions-nous encore apprendre sur cette période ? On ne compte plus les films, les documentaires, les reportages sur le 11 septembre 2001, sur la présidence de Bush, sur ses conséquences au niveau international. On sait très bien qu’il n’y avait pas d’armes de destructions massives en Irak (même si franchement, même à l’époque, c’était déjà assez clair), on connaît les magouilles électorales qui ont porté Bush à la Maison Blanche (sa victoire face à Al Gore a été vraiment peu claire), on sait que nous payons encore les conséquences de la déstabilisation du Moyen Orient causée par l’intervention américaine dès octobre 2001. Et enfin, pourquoi aller voir un énième biopic, un type de film biographique qui se révèle généralement plan-plan, sans grand intérêt ni sur le fond ni sur la forme ?

Et bien franchement, je suis bien contente d’y être allée : le manquer aurait été une grave erreur. Il y a bien longtemps que je n’avais pas autant ri jaune au cinéma, ni autant intéressée et enthousiasmée. En voici les raisons :

1 – Dick Cheney, un type fade mais pas sans intérêt

Les premières minutes de Vice se moquent ouvertement de nos réticences face à un tel biopic. Oui bien sûr, nous dit-il, que Dick Cheney est fade. Il s’agit d’un bureaucrate qui ne souhaite pas vraiment être dans la lumière. Il a commencé comme stagiaire d’un conseiller à la Maison-Blanche et avec beaucoup de patience, il a grimpé les échelons de l’administration en profitant des circonstances. S’il s’est retiré de la course présidentielle, c’est pour mieux être rappelé par sa famille républicaine pour devenir le « vice » de l’idiot de la famille Bush, George W. Les deux passent alors un pacte : à Bush, la lumière. À Cheney, l’ombre, mais le contrôle de l’administration de l’Etat, des finances ou encore de l’armée. À lui aussi le maillage de toutes les grandes institutions américaines pour avoir des fidèles partout. À lui enfin l’idée d’envahir l’Irak, déjà avant les attentats terroristes du 11 septembre (dans lesquels l’Irak n’avait de toute façon rien à voir), idée due à ses quelques années passées au sein d’une compagnie pétrolière qui a bien envie d’aller exploiter les gisements irakiens.

La force de Vice, c’est que contrairement à de nombreux autres biopics, il parvient à ne pas faire l’éloge, même involontaire, de son personnage principal. Certes, Cheney n’est pas un idiot complet comme on pourrait le penser au début, mais il demeure ce type fade et insipide, sans convictions (ou très peu) mais avec beaucoup d’ambition. On ne peut que le mépriser (et saluer la performance de Christian Bale qui l’interprète, à la tête d’une ribambelle d’acteurs parfaits).

Vice nous montre donc ce qui se passe quand des minables ont les pleins pouvoirs. Ils n’en sont pas moins minables, mais les conséquences sont désastreuses.

2  – Une forme explosive

Cette démonstration, Vice nous la fait à travers une forme qui dynamite le genre du biopic. Le montage est survitaminé et nous sautons d’une période à une autre, sans être jamais perdus. Mieux encore, à travers sa voix off jouissive (qui se révèle être un personnage à part entière du film, mais je ne vais pas révéler son identité !), Vice prend des libertés jouissives avec le genre du biopic et même le cinéma de manière générale.

Le faux générique à la 40eminute, le PowerPoint pour nous expliquer un point de droit américain, les jeux de cartes, les retours en arrière ou en avant, l’utilisation d’images d’archives, les parallèles osés, tout concourt à donner au film un rythme fou et il nous entraîne avec lui sans nous laisser de répit. D’ailleurs, le scénariste et le réalisateur ne manquent pas d’humour : lorsqu’ils ignorent ce que Dick Cheney et sa femme se sont dits à un moment critique, ils leur collent un échange shakespearien en vers. Et à la fin, ils se permettent même une mise en abyme savoureuse : un panel marketing, vu plus tôt dans le long métrage pour un autre sujet, donne son avis sur le film et un supporter de Trump le traite de « gauchiste ». Une critique à laquelle Adam McKay devait s’attendre !

Certains trouveront sans doute que l’esthétique du film fait trop penser à un clip musical. Si je comprends la critique, je n’ai pas été dérangée, au contraire. Vice m’a entraînée avec lui.

3 – Bien plus qu’un simple biopic

Mais si Vice m’a plu, c’est surtout parce qu’il ne parle pas seulement de la période Bush et du début des années 2000. Il nous parle d’aujourd’hui, de notre présent et des années Trump. Donald Trump, qui apparaît furtivement dans une image du film, est comme le monstre qui se cacherait derrière Dick Cheney. Les deux hommes ne se fréquentent pas, n’ont pas particulièrement l’air de se connaître et pourtant. Ce que Cheney a entamé à partir de 2001, cette politique « marketing » avec un idiot devant les caméras et des types plus intéressés par leurs ambitions personnelles et le fric en sous-main, les outrances verbales et les mensonges (ou fake news dont les armes de destruction massives en Irak ont été le meilleur exemple), la montée en puissance du président de l’Etat fédéral, tout cela est porté au plus haut niveau par Trump à l’heure actuelle.

S’intéresser à Dick Cheney et à son passage au pouvoir est donc voir le moment où le système a balbutié. Où il a rendu Trump possible. Et derrière le couvert de l’humour, par sa voix off et son montage désordonné, ce film se révèle terrifiant. Les conséquences d’actes de ces types à la Maison Blanche ont été réelles. Quand Dick Cheney magouille avec les compagnies pétrolières, des civils irakiens meurent sous les bombes, quand le secrétaire d’État Colin Powell raconte des craques dans son discours face l’ONU, un islamiste en rupture avec Ben Laden fonde ce qui deviendra Daesh. On continue à payer le prix de ces actes.

Ne vous y trompez pas, Vice n’est pas un film déprimant pour autant. Au contraire, il nous enjoint à garder les yeux ouverts. Bien sûr, c’est difficile dans un temps où l’économie va mal, où on ouvre son ordinateur uniquement pour se changer les idées. Mais il ne faut pas se faire avoir par la complexité de ces sujets, par la médiocrité de ces hommes politiques et certainement pas laisser des personnes comme Dick Cheney faire ce qu’il leur plaît.